Le Pakistan est tristement connu pour l’instrumentalisation de sa législation sur le blasphème, un outil souvent utilisé pour réprimer la liberté d’expression, punir des dissidents et maintenir un climat de peur. Ces dernières années, les féministes et les défenseur·euse·s des droits humains en sont devenus des cibles privilégiées. L’histoire de Zainab en est un exemple frappant. 

Un simple « like » qui devient une condamnation à mort 

Le 23 avril 2024, Zainab, militante féministe pakistanaise, like par inadvertance un tweet qu’elle n’avait pas lu en entier. Ce message, posté dans le cadre d’un débat sur un féminicide récent, contenait une phrase jugée blasphématoire : « all men are trash, prophets are trash ». Ce tweet provient d’une féministe pakistanaise basée aux Etats-Unis, qui dans le débat mettait en évidence la culture patriarcale et l’utilisation de la religion pour justifier le nombre très important de féminicides chaque année.  

Quelques heures plus tard, un internaute repère son like et décide de la dénoncer publiquement en partageant son nom et sa photo sur les réseaux sociaux. Très vite, une vague de haine déferle contre elle : menaces de mort, appels à la dénoncer aux autorités, discussions en ligne pour la remettre aux groupes islamistes radicaux. Une plainte pour blasphème est déposée contre elle auprès de la Federal Investigation Agency (FIA), la plaçant sous le coup de l’article 295 C du Code pénal pakistanais, passible de la peine de mort. 

Les féministes dans le viseur des islamistes 

Zainab n’est pas une inconnue dans les cercles militants. Engagée de longue date dans la lutte contre les violences faites aux femmes, elle a participé à plusieurs éditions de l’Aurat March, la marche féministe annuelle au Pakistan. Son combat contre les conversions forcées des femmes hindoues l’avait déjà exposée à des menaces. Son accusation de blasphème n’est donc pas un hasard : elle s’inscrit dans un schéma plus large de répression des voix féministes par l’extrême droite religieuse. 

Ces dernières années, plusieurs militantes ont été accusées de blasphème après leur participation à l’Aurat March. En 2019, la féministe et universitaire Arfana Mallah a été menacée de mort pour un tweet critiquant l’instrumentalisation de cette loi. D’autres ont été forcées à l’exil ou ont vu leur vie basculer sous la pression d’accusations infondées. 

La loi sur le blasphème : un instrument de terreur 

La législation pakistanaise sur le blasphème, et en particulier l’article 295 C, est dénoncée par de nombreuses organisations de défense des droits humains comme une arme utilisée pour régler des comptes personnels ou idéologiques. Amnesty International souligne que les accusations de blasphème ne reposent souvent sur aucune preuve tangible et que les personnes visées sont présumées coupables dès leur mise en cause. 

Outre les poursuites judiciaires, les personnes accusées de blasphème sont souvent exposées à la vindicte populaire. Des foules en colère ont lynché plusieurs accusés avant même la tenue d’un procès. En mars 2024, un adolescent de 17 ans a été condamné à mort pour avoir reçu sur WhatsApp une vidéo jugée blasphématoire. En mai 2024, une centaine de personnes ont attaqué un camp chrétien, blessant plusieurs habitants, à la suite d’une accusation de blasphème contre un septuagénaire. 

Une course contre la montre pour sauver Zainab 

Face à la menace imminente, Zainab Syed a dû fuir son domicile et vit cachée. Son mari, craignant pour sa sécurité, ne peut la soutenir ouvertement. La Fondation Surgir a pris en charge sa demande de visa humanitaire pour tenter de l’exfiltrer vers un pays sûr.  

Depuis 2001, ce programme de sauvetage a permis à plusieurs femmes menacées de mort de trouver refuge en Suisse. Tant que Zainab reste au Pakistan, elle risque chaque jour d’être victime d’une exécution extrajudiciaire, soit par la foule, soit à travers une condamnation judiciaire expéditive.