Le 9 et 10 mars 2024, l’équipe de Surgir a participé au PeaceTech Hackathon hébergé par l’EPFL. L’événement de 48h, ouvert à toutes et tous, visait à faire dialoguer différents domaines afin d’adresser le thème de l’escalade de la violence.
Surgir s’est rendu à cet événement avec l’intention de dépasser l’obstacle des valeurs culturelles traditionnellement associées à la masculinité pour parvenir à une société plus égalitaire et plus durable. Bien qu’ayant conscience que de nombreux projets de “nouvelles masculinités” avaient déjà émergé, force était de constater que ceux-ci étaient de portée limitée. Notre équipe était convaincue que l'environnement culturel et technologique actuel pouvait offrir de nouvelles opportunités pour que de tels projets prennent racine et portent leurs fruits.
Cet événement ayant été organisé par le laboratoire PeaceTech de l’EPFL, la création de dispositif technologiques devait figurer au centre des discussions. La question soumise aux participant·e·s du challenge proposé Surgir était :
“what social or technological devices can fuel the rise of new models of masculinity facilitating gender equality ?”
L'objectif était alors d'envisager des pistes concrètes visant à remettre en question les normes hégémoniques de la masculinité et à favoriser, à grande échelle et de manière durable, l'expression d'alternatives libérées de ces normes.
Le projet MasculinitéS découle ainsi de la participation à ce Hackathon. Nous remercions infiniment les participant·e·s du hackathon d’avoir dédié 48h à la mise en place d’un projet concret de prévention des violences de genre.
Le projet MasculinitéS a pour objectif général de mettre en lumière les codes de la masculinité et de les déconstruire avec les personnes concernées, afin de participer à la construction de formes de masculinités qui ne reposent pas sur des codes mobilisant la violence.
Pour atteindre cet objectif, Surgir souhaite élaborer un kit d’outils de sensibilisation à destination de professionnel·le·s accompagnant des adolescent·e·s (éducateur·ice·s, professeur·e·s, etc), ceux-ci pourraient, dans le cadre de leur travail, utiliser les outils pédagogiques du kit pour aborder les masculinités et leurs constructions sociales. L’objectif étant de répondre aux besoins des professionnel·le·s qui ne savent pas comment approcher cette thématique et aux besoins des adolescents qui se posent des questions sur des sujets liés à leur masculinité.
Notre approche s’inscrit dans une démarche de prévention des violences de genre. Traditionnellement, les interventions se sont focalisées sur les personnes vulnérables, négligeant les mécanismes sous-jacents, notamment les formes de masculinités violentes qui en sont souvent à l’origine. Ce programme souhaite donc proposer une approche innovante en mettant en évidence que les masculinités sont des constructions sociales modulables, influencées par des facteurs comme la culture, la classe et la race. L’hypothèse, soutenue par la littérature scientifique, serait qu’en modifiant les codes de masculinité violents pour promouvoir des modèles plus égalitaires et non violents, il serait possible de réduire les violences de genre. Considérer les formes de masculinités violentes et leurs impacts permettrait, en plus de prévenir directement les violences à l’encontre des minorités de genre, de comprendre la façon dont les hommes sont aussi des victimes de codes violents de certaines formes de masculinités. Parler de la construction des masculinités serait un moyen de faire émerger toutes les positions que peuvent occuper les hommes en lien avec la violence de genre, comme la position de victime, mais aussi celle d’homme allié.
Pendant longtemps, la notion de masculinité n’a pas, ou très peu, été considérée comme un processus de construction de genre. Ce qui a fait que les hommes ont souvent été vus comme des sujets universels et neutres (Zinn 2013). Ce biais de la littérature scientifique a influencé les pratiques de terrain liées au thématique du genre. C’est pour cette raison que la majorité des programmes qui luttent contre les violences de genre se concentrent sur les personnes victimes ou les victimes potentielles. Il n’existe que très peu d’approches de terrain qui tournent leur regard vers les mécanismes à l’origine de ces violences. La prévention est trop souvent un discours qui met en avant les risques encourus par les personnes vulnérables. Ce qui fait qu’elle s’adresse d'abord aux personnes issues des minorités de genre. Quelques associations s’intéressent aux auteurs des violences. Néanmoins, elles interviennent uniquement auprès de personnes condamnées par la justice ; c’est-à-dire une fois que les violences ont déjà été commises. Très peu de programmes entreprennent une démarche de lutte contre les violences de genre avant qu’elles aient lieux en s’attaquant à leurs sources. Avec ce programme, Surgir souhaite se positionner en tant qu’un des premiers acteurs de terrain à considérer les masculinités et les hommes comme des êtres sexués dont les pratiques et comportements s’inscrivent dans une construction sociale qu’il est possible de modifier.
Prendre comme point de départ les masculinités comme approche théorique et pratique dans la création de ce kit de sensibilisation est une façon de remédier aux lacunes des approches déjà existantes. Il est vrai que faire le lien entre certaines formes de masculinités et les raisons de l’existence des violences de genre est un exercice qui rencontre beaucoup de résistance. Pourtant la littérature scientifique a prouvé l’existence cette relation de cause à effet de nombreuses fois (Peytavin 2021, Malonda et al. 2023). La conclusion est qu’un changement des codes de masculinité violents vers des codes non-violents entraîneraient directement une diminution des cas de violences de genre (Peytavin 2021, Malonda et al. 2023). En effet, les statistiques montrent que la grande majorité des crimes violents sont commis par des hommes (Peytavin 2021, Giauque et al 2023). Cette approche ne présuppose pas qu’il est dans la nature des hommes d’être violent. Au contraire parler des masculinités, c’est considérer que celles-ci s’inscrivent dans des mécanismes de construction sociale et que les processus qui amènent à des codes violents peuvent être modifiés pour aller vers la non-violence.
Considérer les formes de masculinités violentes et leurs impacts permettrait, en plus de prévenir directement les violences à l’encontre des minorités de genre, de comprendre la façon dont les hommes sont aussi des victimes de codes violents de certaines formes de masculinités. Parler de la construction des masculinités permet donc de faire émerger toutes les positions que peuvent occuper les hommes en lien avec la violence de genre, comme la position de victime, mais aussi celle d’homme allié (Peretz et Vidmar 2021). Cela est une façon de valoriser les formes de masculinités qui apportent des choses positives à la société en mettant en avant des codes alternatifs à la violence. En bref, parler des masculinités dans toutes leurs complexités est un moyen de considérer les hommes sous toutes leurs facettes et d'éviter de les enfermer dans une représentation homogène de la masculinité.
Notre définition des masculinités se base sur les travaux de chercheurs et chercheuses experte de cette question, comme Michael Kimmel, Isabelle Zinn ou encore R.W. Connel. Les masculinités sont un ensemble de comportements, de pratiques, de traits sociaux, de valeurs, de façons de penser que l’on assigne à des individus qui sont perçus comme des hommes dans l’espace social. Il s’agit de tout ce que les “hommes” sont supposés être, par opposition à tout ce qu’ils ne sont pas supposés être. Ces suppositions amènent à la construction sociale des masculinités qui sont toujours dépendantes du contexte social, culturel et historique du groupe social que constituent “les hommes”. Ainsi, le concept est toujours utilisé au pluriel afin de rendre compte de l’existence de multiples formes de masculinités. Comme toutes les autres identités de genre, les masculinités ne sont pas une identité acquise et fixe, mais fluide. Pour parler de la multiplicité des masculinités, il est nécessaire de considérer les “rapports de pouvoir au sein du groupe des hommes, et donc aux processus de hiérarchisation qui ont lieu entre les individus de même sexe” (Zinn, 2013). Pour cela, l’intersectionnalité est un outil essentiel, puisqu’il permet de regarder comment la classe, la race, l’âge ou d’autres facteurs influencent sur la construction des masculinités et sur les hiérarchisations de celles-ci.
Connel R. W. (2005). Masculinities. University of California Press: Berkeley. Deuxième édition.
Giauque Fabien, Simeunovic Dijana, Vota Léane. (2023). “Le coût de la virilité en Suisse”. Rethinking Economics Lausanne.
Kimmel Michael S., Hearn Jeff, Connell R.W. (2005) Handbook of studies on men and masculinities. Sage Publications, Inc : Californie
Malonda, E., Llorca, A., Zarco, A., Samper, P., Mestre, M.V. (2023). “Linking Traditional Masculinity, Aggression, and Violence”. In: Martin, C., Preedy, V.R., Patel, V.B. (eds) Handbook of Anger, Aggression, and Violence. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-98711-4_35-1
Peretz, T., & Vidmar, C. M. (2021). “Men, masculinities, and gender‐based violence: The broadening scope of recent research”. Sociology Compass, 15(3). doi:10.1111/soc4.12861
Peytavin Lucile. (2021) Les coûts de la virilité : Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes. Editions Anne Carrière : Paris.
Zinn Isabelle. (2013). “Les Hommes : nouvel objet de recherche”. REISO.org revue d’information sociale.
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