Lorsque l’on a commencé à penser le projet MasculinitéS – Le Kit Eastwood, beaucoup de questions se sont posées. Celles du comment était parmi les plus importantes. Comment est-ce qu’on crée des outils qui ont du sens pour celleux qui les utiliseront ou qui y seront confrontés ? Comment est-ce qu’on évite le piège de sensibiliser sans donner de leçon de morale, sans tomber à côté de la plaque et sans être à des années-lumières de ce que vivent les jeunes et les professionnel·le·s.
Alors, notre regard s’est tourné vers la corecherche.
La corecherche c’est quoi ?
La corecherche, ou recherche collaborative, repose sur un principe simple : le savoir ne vient pas seulement d’en haut (des chercheur·euse·s ou des institutions), il se construit à plusieurs.
Contrairement au modèle classique de recherche, qui consiste à avoir une personne experte qui analyse et observe depuis l’extérieur pour ensuite générer des données et des savoirs, la corecherche est un processus horizontal, où les personnes concernées sont acteurs et actrices à part entière du processus de création de savoir. Leurs expériences, leurs vécus et leurs idées servent de base au processus, allant du choix de la méthodologie, à l’analyse des données et l’écriture des résultats.
La corecherche s’inscrit dans les approches féministes du savoir, comme celles défendues par Donna Haraway, qui insiste sur l’importance d’un travail situé, horizontal et réflexif, où les rôles de chercheur·euse et de “sujet” sont repensés. Il ne s’agit plus de parler à la place des personnes, mais de penser avec elles.
Dans notre cas, ça veut dire que les professionnel·le·s de terrain, mais aussi les jeunes eux-mêmes, participent à la réflexion, aux tests, aux ajustements des outils du kit. Leur parole est prise au sérieux, intégrée, mise au cœur du processus.
Pourquoi utiliser la corecherche dans notre projet ?
Notre projet vise à questionner les normes masculines et à prévenir les violences genrées à travers un travail éducatif. Il nous a semblé approprié de nous observer nous et nos propres pratiques, avant de porter un regard ailleurs. Nous avons réalisé qu’il n’était pas possible de prétendre réfléchir et changer les normes établies en utilisant des méthodes de travail qui reproduisent des logiques de pouvoir classiques.
Donner une place active dans la création du Kit Eastwood aux jeunes et aux professionnel·le·s, en les écoutant, en testant les outils avec eux, en intégrant leurs retours, leurs intuitions, leurs critiques, c’est une façon d’éviter d’imposer un regard extérieur qui peut parfois, en plus d’être faussé, reproduire des violences.
En collaborant avec des associations partenaires comme PROFA et Le Deuxième Observatoire, des éducateur·trice·s engagé·e·s sur le terrain et des jeunes, et particulièrement des jeunes hommes ou des personnes socialisées comme des hommes, nous cherchons à pouvoir identifier les vrais besoins, les contextes spécifiques d’intervention, et les freins rencontrés dans l’accompagnement des jeunes.
Ce travail de cocréation nous permet d’avoir des outils :
- Flexibles, pour s’adapter à différents publics (écoles, foyers, groupes informels) ;
- Ancrés dans le quotidien, donc directement utilisables ;
- Pertinents émotionnellement, car nourris de situations concrètes vécues par les jeunes et les professionnel·le·s.
La corecherche comme méthode alignée avec nos valeurs
Faire de la corecherche, ce n’est pas seulement une méthode : c’est un engagement éthique et politique. C’est reconnaître que le savoir est pluriel, que les réponses aux violences ne viendront pas d’en haut mais des pratiques collectives, et que le rôle de la recherche, c’est aussi de créer des espaces de dialogue et de co-construction.
Cela signifie aussi accepter l’incertitude, les tensions, les désaccords. Parce que penser ensemble, c’est aussi se confronter à des points de vue différents — et c’est précisément ce qui rend le processus si riche.
Vers des masculinités non-violentes, construites collectivement
Avec Le Kit Eastwood, nous ne proposons pas une vérité sur les masculinités, mais un espace d’exploration, un outil à plusieurs voix, pensé avec et pour celles et ceux qui accompagnent les jeunes au quotidien. Car c’est bien ensemble, dans le frottement des idées, des pratiques et des vécus, que l’on peut faire émerger des formes de masculinités alternatives, inclusives, non-violentes.
C’est ça, la force de la corecherche : elle ne transforme pas seulement les outils qu’on crée — elle transforme notre manière de faire société.
Si tu veux nous aider tu peux :
Si tu es une personne intéressée, ou simplement curieuse, par les questions de masculinités et que tu souhaites nous aider, tu peux remplir ce questionnaire : questionnaire_masculinités Tu peux aussi participer à nos ateliers d’exploration des masculinités et d’amélioration de nos outils (laisse ton contact à la fin du questionnaire et on t’écrira pour toutes les infos).
Si tu es une personne qui travaille au contact d’un public jeune et qui a une expérience de sensibilisation, peu importe sur quel sujet, tu peux remplir ce questionnaire : questionnaire pros et si tu le souhaites tu peux aussi laisser ton contact à la fin, pour un entretien plus approfondi sur les questions de genre ou d’outils de sensibilisation.
Si tu n’es pas pro et pas forcément très concerné·e par le sujet, tu peux aussi nous aider en diffusant l’info autour de toi. Plus on aura de participant·e·s, plus la corecherche aura de la valeur.
Merci pour ton aide, ton temps et à bientôt pour de nouvelles aventures 😊
Si ça te dit d’explorer la corecherche un peu plus, voici quelques sources :
Gervais, M., Weber, S., & Caron, C. (2018). Guide pour faire de la recherche féministe participative
Un manuel pratique qui explore les principes et les méthodes de la recherche féministe participative, mettant l'accent sur la co-construction des savoirs avec les participantes.
Lire le guide
Caron, C. (2022). Coconstruction en recherche partenariale
Cet ouvrage examine le processus de coconstruction dans la recherche collaborative en éducation, en soulignant les enjeux de pouvoir et de reconnaissance des savoirs.
Lire le PDF
Collectif. (2022). Recherche collaborative et approches féministes : apports et tensions
Un article qui propose un modèle théorique pour réfléchir aux enjeux entourant les démarches de recherche collaborative féministe, notamment avec les femmes immigrantes.
Lire l'article
Collectif Sciences Citoyennes (2022). La recherche participative comme mode de production de savoirs
Ce document explore les fondements et les enjeux politiques de la recherche participative, en la situant comme une alternative citoyenne aux modèles académiques classiques. Il interroge la légitimité des savoirs produits avec les acteurs de terrain, notamment dans une perspective de justice sociale.
Lire le PDF
Earp, F. (2024). Does participatory action research need to be feminist?
Une réflexion sur la manière dont les théories féministes influencent les méthodologies de recherche participative et les relations de pouvoir entre chercheurs et participants Lire l'article
Fabriques de sociologie – En corecherche
Un espace de recherche en sciences sociales qui associe des acteurs d'horizons différents pour expérimenter des formes de recherche collaborative. Découvrir le site
Feminist Participatory Action Research (FPAR) Academy
Une plateforme d'apprentissage en ligne dédiée à la recherche-action participative féministe, offrant des ressources et des formations pour les activistes et chercheurs.
Visiter le site
Haraway, D. (1988). Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective
Feminist Studies, Vol. 14, No. 3
Un texte fondamental où Haraway développe la notion de savoirs situés, en opposition à la prétention d'objectivité "vue de nulle part" de la science classique.
Journal of Participatory Research Methods (JPRM)
Une revue académique en libre accès qui se concentre sur les méthodes, techniques et processus de la recherche participative.
Consulter la revue
Renaud, L. (2020). Modélisation du processus de la recherche participative
Cet article propose une modélisation des différentes formes de recherche participative (recherche-action, recherche intervention et recherche partenariale), en mettant en lumière leurs spécificités respectives. L'auteure examine le rôle du chercheur, les dynamiques de participation des acteurs de terrain, ainsi que les implications organisationnelles et politiques de ces approches.
Watson, V. W. M., & Marciano, J. E. (2015). Examining a social-participatory youth co-researcher methodology
Une analyse de la méthodologie de recherche participative avec des jeunes en tant que co-chercheurs, mettant en lumière les possibilités d'alphabétisation et de recherche. Lire l'article
No comments.